-Il y a 75 jours on enlevait le carcinome de mon nez et par le fait même, je subissais ... parce que dans mon jargon à moi, j'appelle ça subir ... je subissais une amputation d'une partie de mon nez.
-Il y a 72 jours, j'ai eu le privilège d'avoir une reconstruction de mon nez avec un lambeau de peau de mon front affectueusement appelé "trompette" ( bon j'essaie d'être positive dans le choix de mes mots alors je n'emploie plus le mot subir.)
-Il y a 26 jours, j'ai eu la chance de me pointer à une troisième chirurgie afin d'enlever le lambeau trônant en plein milieu de mon visage depuis près de 7 semaines et permettre la mise en place de la greffe de peau et muqueuse.
-Il y a 8 jours, J'ai SUBI une quatrième chirurgie ( rendu à quatre on a le droit d'utiliser le mot "subi") pour un deuxième cancer, celui-là sur la tempe.
Et hier, c'était ENFIN mon rendez-vous pour enlever les points de suture ... ouffff ... yé temps que ça arrête !!! La job de découpage est terminée, reste juste la finition !
C'est là que je suis rendue. Me voilà au jour 1 de la nouvelle Hélène. C'est pas vrai que je suis la même... oooooh que nnnnnon !!! En tout cas, aujourd'hui c'était pas moi pantoutte. Moi la forte, la positive, la battante, la courageuse, j' me suis transformée en étrangère. Pourtant mon matin a bien commencé. J'ai pris ma douche, pris soin de mon nouveau-visage-temporaire avec tout ce que ça comporte de délicates manipulations, de nettoyant doux et d'hydratants qui coûtent plus cher quand y'a pas de parfum dedans que lorsque le mini pot de crème sent le rhododendron ou le patchouli !!!
Alors que mon body est en état de déshydratation relié à un sujet que je n'entrerai-pas-là-dedans-ça-serait-trop-long, de faiblesse suite à mes nombreuses interventions et un manque flagrant d'exercices physiques, j'ai décidé de tenter un léger camoufflage de cicatrices et de m'habiller un peu moins en mou. Le but ultime : sortir marcher jusqu'au bout de ma rue. Il fait 4 degrés celcius donc je peux me permettre de sortir ma greffe au grand air pour quelques minutes sans risquer la gangrène, chose que je n'ai pas faite depuis le 12 décembre 2012. Voici donc en image ce que ça donne :
J'me suis prise en photo tout juste avant de traverser mon entrée... ça parait pas trop mais je commençais déjà ma crise de panique.
À 14h00, y'a pas un chat sur la rue, le monde est au travail, les enfants sont à l'école ou, si ils sont tout-petit, c'est le temps du dodo d'après-midi ... Je mets toutes les chances de mon bord pour ma première sortie la face à peine cachée par mes lunettes ! Le sourire, je garde ça pour la prochaine fois. Chaque chose en son temps !
Comment ça s'est passé ? J'ai marché l'équivalent de 6 maisons quand tout-à-coup, j'ai entendu une voiture arriver derrière moi. Mon coeur s'est mis à battre comme si je terminais un marathon ! Le p'tit hamster dans ma tête a perdu connaissance, j'arrivais pu à penser. Je fais quoi si c'est mon voisin, si y'arrête à ma hauteur, si sa fenêtre est baissée, si y'a une voix qui me dit " Allo Hélèèèèene !!!" ??? J'ai pas encore rencontré personne depuis que j'ai à composer avec une face décomposée.
Aaaaah pis dites-moi le pas, je l'sais déjà ... J'exagèèèèère !!! Mais en situation de crise, tout prend une proportion disproportionnée ... je connais toute la théorie mais je ne suis pas encore dans la pratique. J' aimerais ici ouvrir une parenthèse pour mes voisins qui me lisent ... si vous passez en voiture et que je suis sur la rue, de grâce ... arrêtez à ma hauteur, baisser votre fenêtre et dites-moi Allo Hélèèène! Ça va me faire une sorte de thérapie ... pis non, ça va juste faire comme avant, that's it
À deux maisons d'arriver au bout de la rue, un voisin et sa femme sont sortis de leur maison. J'ai paniqué, tournée les talons et rentrée chez-moi ... fin de la promenade. J'ai rangé mon manteau et sorti ma boite de mouchoirs ! Je l'sais que c'est niaiseux, que y'a pas personne qui va me dire que je suis monstrueuse, mais c'est difficile à contrôler ce sentiment de ne plus s'appartenir. J'ai l'impression d'affronter ma vie au lieu de juste la vivre.
J'ai réussi à colmater la fuite pour le retour de l'école des enfants. Ma fille est entrée puis comme ça, elle a tendu les bras ... ma serrée en me disant "je t'aime". C'est pas trop dans les habitudes de mon ado alors j'ai fait un p'tit détour par la salle de bain pour pleurer ma joie, ma peine, mon désarroi, ma grande fatigue. Puis je me suis ressaisie. J'ai mis de la musique dans la cuisine et commencé mon souper. Entre deux étapes je suis allée à l'ordi pour voir mes emails et une amie qui passe par le même chemin que moi m'a écrit. J'ai lu une ligne... en gros ça disait que c'est pas mauvais de pleurer, ça fait juste une semaine ma nouvelle cicatrice ... j'me suis pas rendue plus loin et suis allée re-chercher ma boite de mouchoirs. Aaaaah y'a rien comme aller brasser son steak haché pour se ramener dans le moment présent.
Bon là j'étais correcte, j'me disais dans ma tête " c'est ben vrai ça ... ça fait juste 1 semaine tabarouette, ça fait pas 6 mois ! wouow madame ... calme-toi le pompon, donne-toi une p'tite chance " Et là mon homme est arrivé du travail. Il est venu me rejoindre dans la cuisine et m'a pris dans ses bras ... ah ben là ... les chutes Niagara ... Non mais je me tape sur les nerfs moi-même, ça vas-tu finir par finir, j'dois ben arriver dans le fond, y'a toujours ben des limites pour une sortie au coin de la rue ! Une chance que j'ai pas décidé d'aller à l'épicerie !
Pour faire une histoire courte de ma longue épopée, j'ai servi ma marmaille, on a jasé de tout et de rien ... puis mon fils nous a raconté sa rencontre avec l'orienteur. Il doit faire ses choix de cours en mars. Sa grrrrande passion : la géologie. Il nous en parle depuis qu'il a 3 ans. Le choix de son CEGEP, celui de Thetford. Ah ben ça mon ti-loup, ça veut dire que tu vas devoir rester sur le campus. Vous auriez dû lui voir les yeux brillants ... pis le grand sourire de fierté ... la môman trop émue a fait quoi ??? Ben ouiiiiiiii encore !!! Même si c'est juste dans 2 ans et demi !!! je suis pathétique !
La bonne nouvelle : ça fait 5 heures que je n'ai pas pleuré, que ma peine m'a quitté ... pour combien de temps ça je l'sais pas, mais aujourd'hui c'était comme ça, demain ça sera différent ! Je dois mettre en pratique ma théorie, ça va venir avec le temps. Je dois travailler sur ma perception que j'ai de moi-même, c'est pas compliqué .... ouan ... un peu quand même !